L'Art Kanak

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Dossier sur l'Art Kanak
 
Introduction : Conserver le sens de l'art
 
Art Kanak L'objet de cette recherche est d'identifier les particularités de l'art kanak et de cerner le sens qu'il a dans la société kanak. Toute association de promotion culturelle doit s'interroger sur le sens que prendra l'art présenté une fois sorti de son contexte originel. Pour parvenir à présenter au grand public de la sculpture, des contes, des danses et musiques kanak de manière cohérente, il est indispensable d'apporter un maximum d'informations sur la société kanak et sa conception de l'art. De cette façon, le public pourra se projeter dans l'univers auquel appartient l'art kanak et se rapprocher de son sens premier.
 
Aujourd’hui, la question de la signification de l’objet d’art reste l’une des préoccupations des chercheurs, pour lesquels la connaissance des traits culturels manifestes (relevant de l’organisation sociale, de la religion, de la mythologie, etc.) n’épuise pas cette signification. On en vient ainsi à considérer que les images sont des productions spécifiques de représentations mentales. L’étude des caractères formels d’un art permet de révéler des aspects latents d’une culture, qu’ils concernent la transmission du savoir, la remémoration ou l’élaboration symbolique. Il reste cependant encore à explorer de manière systématique des critères internes d’une appréhension esthétique qui n’est jamais séparable de l’efficacité symbolique de l’objet.
 
Ici, nous tenterons dans un premier temps de présenter les différentes formes que revêtit l’art kanak, aussi bien traditionnelles que contemporaines. Puis sera abordée la conception de l’art par la société kanak par l’explication de sa fonction symbolique et de sa fonction pratique.

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I. Les différentes formes d'art kanak
 
La Nouvelle-Calédonie fut l’objet d’une christianisation conflictuelle entre protestants et catholiques dès le milieu du XIXe siècle, ce qui eut une influence profonde sur la disparition de nombreuses coutumes et sur l’appauvrissement et la transformation des arts traditionnels. La colonisation puis la prise de possession de l’île par la France achevèrent ce processus. Bien entendu, les formes sociales, les langues, la culture matérielle et artistique, si elles se rattachent à cet ensemble, n’en développent pas moins une civilisation particulièrement originale. Aujourd’hui, l’art kanak aussi bien traditionnel que contemporain se décline sous les différentes formes suivantes :
 
Sculpture
 
La sculpture kanak s’inscrit essentiellement dans l’espace architectural de la grande case et l’image de l’ancêtre en est le thème principal. Elle est l’œuvre d’artistes spécialisés reconnus, dont la répartition dépasse parfois les limites de leur district. Les noms de certains de ces artistes célèbres ont été conservés bien après leur mort. Dans le Nord, le masque est l’un des emblèmes essentiels de la grande chefferie, policier symbolique et grand ordonnateur des cérémonies coutumières. Aujourd’hui, la sculpture contemporaine conserve l’aspiration de la société tribale traditionnelle mais s’ouvre à des thèmes plus larges exprimant les réalités de la société kanak actuelle, qui connaît des mutations considérables. Souvent réduite au travail du bois, la sculpture comprend aussi le modelage de la terre et de la pierre. Les bambous gravés, par leur ancienneté et leur originalité sont désormais une image identitaire forte. Réinterprétés avec audace et humour par les artistes contemporains, ils témoignent du renouveau actuel des arts kanak.
 
Littérature orale
 
Les Kanak possèdent une très riche tradition orale dont l’inventaire est encore loin d’être achevé. Récits historiques et mythiques sur l’origine des hommes et du monde et sur les anciens itinéraires des clans. Cet art comprend des contes humoristiques et moraux, des poésies, proverbes, devinettes, chants, etc. Tous ces récits ont valeur d’exemple et témoignent, mieux qu’aucune autre forme d’art, de l’unité des modalités institutionnelles comme des tonalités affectives de la sociabilité kanak. La culture kanak étant une culture orale, l’ensemble de ces récits et contes ont aussi pour finalité la transmission de générations en générations, de la mémoire et de l’histoire du peuple kanak.
 
Musique et danse
 
La musique kanak privilégie la voix (polyphonie) et les percussions, elle est omniprésente dans toutes les fêtes et cérémonies importantes. Il existe une grande diversité de chants et de danses accompagnant un type de cérémonie précise (deuils, mariages, alliances, guerres…). La danse est le plus souvent narrative et collective, version chorégraphique d’un conte ou d’une activité traditionnelle comme la pêche ou la culture de l’igname. Sur la «Grande terre», la «Boria» ou ronde incessante et saccadée des hommes et des femmes a une valeur symbolique essentielle, à la fois sens du monde et regroupement de la société autour de son centre politique. Aujourd’hui, les jeunes générations de Kanak ont inventé le «Kanéka», une musique moderne croisée de diverses influences (rock, reggae…) toujours élaborée à partir des rythmes traditionnels et de la dominance du chant polyphonique kanak.
 
Cette présentation des arts kanak n’est pas exhaustive, elle permet simplement d’identifier les trois grandes familles d’expression artistique kanak : la sculpture, la littérature orale et la musique. On pourrait y ajouter la peinture, la photo, la vannerie et bien d’autres encore, mais ils appartiennent de près ou de loin à ces trois familles et répondent aux mêmes sources d’inspiration.
 
De même, la définition de l’art kanak contemporain mériterait d’être plus approfondie. Il est le témoin de l’évolution de la culture, comme tout art, il est son reflet et traduit sa capacité d’adaptation au monde moderne. Les représentations et les croyances kanak se transforment. Confrontés à d’autres cultures et d’autres modes de vie, les Kanaks rencontrent des situations, des obstacles et des questions qui ne sont plus celles que rencontrait la société tribale traditionnelle. C’est justement ici que réside la particularité de l’art kanak contemporain : il avance vers la modernité en conservant une attache indestructible héritée du passé. Cette attitude est propre au mode de pensée kanak qui se veut en référence continuelle au passé ou encore, au sens spirituel, aux ancêtres.

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II. Une fonction symbolique
 
La majeure partie des œuvres d’art issues de la culture kanak remplissent une fonction symbolique fondamentale. Cette dimension fait référence à l’organisation sociale des Kanaks, à leurs coutumes relatives à la vie en tribu et à leurs croyances pour ce qui concerne la spiritualité et la conception de l’existence. Si ces valeurs sont fixes dans l’art traditionnel, elles le sont beaucoup moins dans l’art contemporain qui apporte de nouvelles visons, qui reflète une nouvelle approche des concepts et interroge par sa modernité les «évidences» du monde traditionnel.
 
Nous prendrons l’exemple des sculptures de la Grande Case pour expliquer la fonction symbolique que comprend l’art kanak. C’est en effet l’exemple le plus représentatif et le plus parlant car il ne demande pas de connaissance précise de la culture kanak pour en cerner la signification.
 
La Grande Case est dans une tribu le lieu où se tiennent les conseils, où se prennent les décisions. C’est la case du chef, sa structure et ses formes demeurent aujourd’hui encore un symbole. Ornée de sculptures qui remplissent chacune une fonction symbolique définie, cet édifice permet à chacun de visualiser et de se représenter le schéma sur lequel est fondé la tribu. Ainsi la Grande Case concrétise les liens qui unissent les clans en devenant symbole de prestige, d’unité, d'accueil et d’organisation sociale.
 
Symbole de prestige
 
La case ronde exprime des sentiments de fierté et de puissance. Son emplacement, les matériaux utilisés, la hauteur de l’édifice sont autant d’éléments importants que prend en compte l’ingéniosité du Kanak pour faire éclater ses diverses sensibilités. Au travers de cette expression, la hiérarchie est tout de même respectée. Ainsi, la Grande Case, attribuée au chef apparaîtra comme la plus importante de tout l’espace habité. La case du chef est placée en haut de la grande allée, sa place exprime d’elle-même l’importance ou le nombre de sujets qui ont participé à sa construction. Les cases appartenant aux autres habitants de la tribu seront plus modestes. La disposition descendante dans l’espace habité est conforme à la place de chacun dans la hiérarchie coutumière.
 
Symbole d’unité
 
La Grande Case est le résultat d’un travail collectif. La décision inhérente à sa construction a fait l’objet de longues concertations et de palabres. Au cours des discussions, chaque clan devait affirmer son adhésion pleine et entière au projet de construction. Le maître d’œuvre est choisi selon les mêmes méthodes et les tâches sont réparties toujours dans un commun accord. Le travail ainsi réalisé n’est le fait ni d’un seul individu, ni d’un seul clan mais il est l’œuvre de toute la collectivité. Les matériaux de la case solidement liés au poteau central symbolisent les clans de la tribu liés fermement à leur chef. Durant des mois, voire des années, la case aura été l’élément concret d’une volonté commune et l’expression d’une solidarité des individus jusqu’à l’achèvement de sa construction.
 
Symbole d’accueil
 
Les traditions coutumières qui incitent le Kanak à sortir de l’isolement ou de l’individualisme confortent ses dispositions naturelles d’homme prêt à accueillir. Cette qualité individuelle trouve une autre dimension dans l’expression communautaire. C’est ainsi que les tribus du territoire ne sont pas hermétiques les unes vis-à-vis des autres. Les relations de voisinage sont entretenues au travers de fêtes coutumières diverses, de rencontres, d’invitations au protocole… C’est dans ces occasions que la Grande Case joue son rôle de Case d’accueil. Le feu du foyer central symbolise la chaleur des cœurs qui accueillent. Les invités d’honneur y sont nourris, logés et protégés durant tout leur séjour.
 
Symbole d’organisation sociale
 
Si par sa construction, la case scelle une unité entre les individus, elle exprime au-delà de ce concept restreint, l’existence hiérarchisée de clans qui peuplent des régions étendues. En langage coutumier est transposée l’image de la case pour définir d’un seul coup la région et les clans qui l’habitent. A l’image des éléments de la case, liés les uns aux autres et regroupés autour du poteau central qui les soutient, les clans s’organisent autour de leur chef dans leur région. Dans l’organisation de la case, certains sont guerriers, d’autres porte-parole ou serviteurs, cultivateurs, pêcheurs, etc. Il est indispensable que chaque clan de la case assure sa fonction afin d’éviter le blocage des chemins coutumiers et la désorganisation de la société traditionnelle. Les reproductions de totems protecteurs au travers de sculptures de la flèche faîtière représentent l’esprit invoqué qui veille sur la case et ses habitants.

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III. Une fonction pratique
 
Parmi les objets d’art qui remplissent avant tout une fonction pratique, nous trouvons le plus souvent l’ensemble des poteries et vanneries destinées à l’utilisation quotidienne. De même, nous pouvons répertorier tous les outils de guerres sculptés, les haches, massues et sagaies qui font l’objet d’une finition précise. Ils sont parfois considérés aujourd’hui comme des objets décoratifs. S’ils ne sont plus utilisés comme des armes, ils représentent une part non négligeable du patrimoine artistique kanak et conservent la mémoire d’une vie tribale régulée par des règles précises.
 
Les armes font partie des objets liés aux échanges cérémoniels. Ces derniers méritent une analyse particulière car ils répondent à une double fonction, pratique et symbolique. Les échanges cérémoniels, appelés couramment «la coutume» par les Kanak, mettent en jeu des objets de prestige comme monnaies de coquillage, des haches rondes, des armes sculptées ou des tissus. Les grands échanges coutumiers doivent être compris comme des cérémonies juridiques au cours desquelles les familles renouent les contrats qui assurent leur sécurité, leur accès à la terre, leur reproduction, bref, leur existence sociale et politique. Les objets échangés en quantité et valeur égale lors de «la coutume» comprennent ainsi une première dimension pratique puisqu’ils ont vocation à être utilisés au quotidien (les tissus sont portés comme des pagnes).
 
Mais ce qu’ils représentent dans la signification de l’échange leur donne une seconde dimension symbolique. Par exemple les monnaies de coquillages n’ont plus d’utilité réelle puisqu’elles ne sont plus des monnaies actuelles mais elles continuent à porter le sens qu’elles avaient dans la société traditionnelle kanak. Elles entretiennent de bonnes relations entre les chefferies et témoignent du respect mutuel entre les tribus. Nous pouvons donc considérer que très peu d’objets d’art kanak revêtent uniquement une fonction pratique.
 
Comme dans toute société, l’art intervient comme reflet d’une culture et ne peut se définir autrement que comme porteur de l’identité d’un peuple. Il en découle une multitude de codes sociaux et de symboles construits et entretenus par la société qui seront transcrits par les artistes dans leur création. Un objet est alors considéré comme «œuvre d’art» lorsqu’il peut être rattaché à l’histoire et à la culture d’un peuple de part les symbole qu’il porte.
 
Conclusion : Le sens ou la forme ?
 
Les ethnologues envisagent l’objet d’art dans ses relations avec d’autres objets de même nature à l’intérieur d’une même société, son interprétation n’étant pas séparable de sa fonction symbolique et/ou de son usage pratique. En clair, le sens prime sur la forme. A l’inverse, les amateurs d’arts premiers appréhendent d’emblée l’objet comme «œuvre d’art» en raison de ses qualités plastiques, ce qui revient à en faire un spécimen d’un Musée universel à l’égal de n’importe quelle autre chef-d’œuvre, qu’elle qu’en soit l’origine. Donc la considération de la forme est libre de toute considération de sens. Par delà la difficulté de concilier ces deux approches, on se doit d’admettre que dans les deux cas, l’appropriation de l’objet par une institution scientifique ou muséographique représente la perte irréversible de sa vocation première.
 
Conscients de la transformation que subit l’œuvre d’art lorsqu’elle est présentée en dehors de son contexte, nous devons alors la préserver de toute interprétation néfaste pouvant nourrir la construction de stéréotypes sur la population dont est issu l’art. Dans cette optique, nous ne pouvons pas présenter une œuvre quelconque sans l’entourer d’informations sur le milieu dont elle provient et le rôle qu’on lui attribue au départ. L’art a l’immense faculté de véhiculer des idées et des visons du monde en référence à la culture dont il provient. Cependant, cette faculté peut se retourner et nuire à la culture quand l’objet d’art est présenté séparément de l’ensemble auquel il appartient.
 
Ainsi la promotion de l’art kanak doit être envisager uniquement comme la présentation d’une culture toute entière, avec son mode de pensée, ses références et ses diverses formes d’expression. L’art appartient à un tout duquel il ne peut être détaché sans perdre totalement sa signification. L’art kanak sera donc défini comme un accès à la connaissance et à la reconnaissance de la culture kanak, et non comme un «art primitif» jugé pour ses qualités décoratives ou exotiques par un public oubliant l’essentiel : la culture.
 
Dossier réalisé par Christophe Charlemagne.
 

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